Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 juillet 2019 6 20 /07 /juillet /2019 14:26
Camp de Sainte-Marthe : le début du cauchemar des anciens d'AFN

Camp de Sainte-Marthe Dépôts des isolés métropolitains : Nous rendons hommage à tous ces «visiteurs d'un soir» passés dans cette «antichambre», prélude à leur embarquement manu-militari sur un rafiau, promis à la casse, car trop dangereux au transport des moutons mais réarmé à la hâte afin d'accueillir les promus à une traversée au fond d'une cale aux effluves capiteuses inoubliables. 
Destination : troublante et troublée, Algérie. Camp de Sainte-Marthe ; en 1749, le domaine de la Pioche produit un vin renommé avant d'être transformé en domaine agricole prospère. Sainte-Marthe, patronne de Tarascon, s'arrêtant près d'une «source miraculeuse» lui donne son nom. En 1915, par acte de réquisition, le camp est crée. Sont implantées les premières baraques pour les troupes à destination du front nord-est et d'orient. En 1922, s'installent une Compagnie d'un Bataillon Colonial et une Compagnie d'un Bataillon de Sénégalais. Ils y attendent le retour vers leur pays d'origine. Après le départ de ces «coloniaux», s'installe le Dépôt des isolés Métropolitains (DIM). A la gare Saint-Charles, un GMC a pris livraison d'un contingent en partance pour l'Algérie. Accroché aux ridelles du vieux bahut, chacun laisse vagabonder ses pensées. Brusquement, le bahut stoppe. Il déverse sa cargaison humaine. Perdus dans leur rêverie, ils ont franchi le porche de cet immense camp de transit. Dans ce flot humain, toutes les armes sont représentées : Biffins, Tringlots, «Chasse-bites», Paras, Tirailleurs, Marsouins. Tous exacts au rendez-vous, tous logés à la même enseigne. Ce vaste parking à soldats est effectivement un dépôt. Isolés, ils le sont. Chacun interrogatif, perplexe quand à son devenir… Se faufilant à travers les baraquements vétustes et sordides, nul ne peut s'empêcher de les assimiler à ceux des camps de prisonniers de guerre que leurs pères, captifs Outre-Rhin, leur ont maintes fois d'écrits. Dans le bâtiment faisant office «d'hôtel-restaurant», règne une animation indescriptible. Sur l'un des murs de la vaste salle, une grande affiche attire leur attention. «Algérie terre de lumière». A l'arrière, un soleil, jouxtant une mosquée, semble prêt à accueillir sur cette terre tous ces touristes improvisés. Publicité alléchante vantant les mille charmes de l'Afrique du Nord. La «Grande Muette» serait-elle une agence de voyages du Club Méditerranée ?. Algérie, à la fois si proche et si lointaine. Leurs valises pour appui-tête, allongés sur un pucier, ils goûtent un sommeil peuplé de rêves chimériques. Traverser «La grande bleue» après avoir pour la première fois de leur vie, pris le train tracté par une loco à vapeur… Découvrir une autre civilisation. Sans nulle autre richesse que leur jeunesse et des lendemains pleins de promesses, au terme d'une nuit en mer agitée, du rêve à la réalité. Sur cette terre qui n'est pas la leur, c'est la guerre ! Une guerre particulièrement cruelle et sournoise, car elle cache son nom ! Des créatures humaines détruisent d'autres créatures humaines. Sur cette terre inondée de soleil, au fusil on éteint la lumière. Condamnés à affronter leur vie d'adulte en anciens combattants, un retour marqué par un sentiment de laissé pour compte dans un monde indifférent. Une réinsertion difficile à la vie civile. Certains sont restés prisonniers de leur mauvais destin.

 Mal de vivre, mal venu mal entendu, malheureux, mal aimé, nul ne guérit de son enfance. Il ne retrouve pas ses 20 ans. Son Algérie ne sera jamais terminée, il aura toujours mal à sa mémoire.Toujours devant lui, l'image du copain blessé,appelant sa mère et criant dans son délire qu'il est trop jeune encore, qu'il ne veut pas mourir. Durant dix années de guerre, chaque jour, la mort pour dix des nôtres. 30 000 ne reverront pas le château d'if, Notre-Dame de la Garde, ne goûteront plus au bonheur de fouler le sol de leur pays natal. Des cercueils discrètement alignés sur un quai au fond du port de la joliette à Marseille… Un cheminement clandestin à bord d'un GMC soigneusement bâché vers la commune de leurs proches. De bien banales obsèques. Une famille éplorée, accompagnée du maire du village et du curé de la paroisse. Pas d'hommage officiel dans la Cour d'Honneur des Invalides et de décoration à titre posthume. Une mention «Mort pour la France», trop souvent absente. Surtout pas de couverture médiatique. La discrétion la plus absolue sur la réalité de cette guerre qu'il fallait cacher à l'opinion publique. Qui y a-t-il de plus merveilleux pour une maman, que l'enfant au doux sourire à qui elle a donné le jour. Qui y a-t-il de plus effroyable que la nuit qui l'entoure, quand il lui est ravi pour toujours à l'aube de sa vie. On refuse de revoir mort celui qui, dans ses yeux, avait tant de bavardages et d'amitié, dans le cœur, rien qu'un «Je veux vivre». La douleur reste de la douleur. En Hommage à nos frères d'armes disparus, partis avant d'avoir tout dit, partis en emportant avec eux un éclat de notre cœur. A leurs familles cruellement éprouvées, je vous invite à observer quelques instants de recueillement, tout en méditant cette pensée d'André Malraux. «J'ai appris qu'une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie».
Texte de Serge Drouot au 33e Congrès National

Partager cet article
Repost0

commentaires