André Biaux, à 93 ans, s'exprime debout pendant plus d'une heure, «par respect» pour l'histoire qu'il raconte. Celle avec un grand H, de la Seconde Guerre mondiale.
À 93 ans André Biaux rescapé de la déportation a livré son histoire.
Une parole toujours indispensable, qui témoigne de l'horreur mais aussi de courage de ceux qui ont résisté. Il déroule son récit. Celui-ci commence à Évreux, à l'été 1940. André Biaux prend conscience de la guerre avec les premiers bombardements, "La ville est en feu" et le passage de soldats français à qui sa mère sert un poulet, pendant que lui se souvient avoir mangé des nouilles. "Au début de l'occupation notre seul souci, c'est de trouver à manger". 1940, c'est aussi "la fin des libertés". Âgé d'à peine 15 ans, il est employé chez un opticien du Neubourg. À l'automne 1940, lors d'une balade près de l'abbaye du Bec-Hellouin, il surprend une patrouille allemande, qui s'est arrêtée sur le bord d'une route le temps d'une pause toilette. "Sans réfléchir", l'adolescent s'empare du calot de l'un des militaires, abandonné dans le véhicule. "Je ne sais toujours pas pourquoi j'ai fait cela" : un geste spontané de protestation, révélateur de son besoin de contester la situation qui s'est installée. L'année suivante, "je suis allé voir un professeur qui était connu pour son action résistante". Les semaines passent, la confiance s'acquiert par la distribution de tracts, il se retrouve à convoyer des pilotes britanniques et américains qui rejoignent Londres. Au cours de l'année 1942. "Chaque décision compte et la chance joue son rôle. Un jour de beau temps, j'ai décidé que nous ferions le trajet de Saint-Lazare au point de rendez-vous à pied. Puis au retour, j'ai pris le métro, seul. C'est là que je suis tombé sur un contrôle. Seul, j'étais en règle, mais si j'avais fait l'inverse." Le 20 mai 1944, André Biaux est arrêté il a été dénoncé par un agent de police. "Qui a dû vendre une liste à bon prix. Il est mort à la sortie de la guerre il n'en a pas profité". La première étape, c'est Compiègne, là où sa mère perd sa trace. Elle sait qu'il n'est pas dans les neuf d’Évreux qui ont été fusillés. Elle ne sait pas que son fils est monté dans un train pour l'Allemagne, dans lequel il est resté trois jours sans manger. A l'arrivée dans le premier camp, "on nous a pris toutes nos affaires, on a été tondu, après un passage de 15 secondes à la douche", 5 secondes d'eau chaude, 10 d'eau froide. Les prisonniers reçoivent l'uniforme rayé, des sous-vêtements, un bonnet. "On nous a surtout dit quelque chose que je n'ai pas compris sur le coup. Que dans ce camp, on entrait par la porte, on sortait par la cheminée". Dans ce quotidien de violence inouïe, "votre nom, vous l'oubliez, vous n'êtes qu'un numéro". La vie du camp est faite de travail, d'épuisement, Le jeune homme est transféré à Brême avec quelques camarades. Les repas sont toujours composés essentiellement de soupe au chou. C'est là qu'il reçoit un éclat de bombe dans la jambe, en mars 1945. "Ma blessure s'est infectée mais à moins de 40 de fièvre, pas la peine de penser à l'infirmerie". Quand il faut évacuer le camp, le Normand hésite à se mettre du côté des plus faibles, "mon camarade m'a dit d'aller avec les bien portants". Une fois de plus, il échappe de peu à la mort, même s'il faut marcher 25 kilomètres par jour. L'issue de ce calvaire, c'est la baie de Lübeck, ou il se retrouve enfermé avec plusieurs centaines de personnes dans la cale d'un bateau, alors que la fin de la guerre est proche. En une heure, le 3 mai 1945, plus de 7.000 déportés trouvent la mort sous les bombes britanniques. André Biaux échappe une fois de plus à la grande faucheuse. Il pèse 36 kilos, et parvient à revenir de l'enfer. Il est rapatrié à l'hôtel Paris, puis il rejoint l'Eure, où il retrouve sa mère. L'opticien du Neubourg a enfoui ses souvenirs pendant toute sa vie. Puis à 80 ans, par devoir de mémoire, il s'est ouvert aux collégiens et lycéens, toujours debout.