Si loin, si proche, l'Algérie, si présente encore à nos esprits, et si reléguée au fond de souvenirs parfois vifs, parfois diffus... Il y a quelques jours, un ami se désolait de ne plus se souvenir de tous les épisodes de sa jeune vie passée dans les djebels algériens, d'oublier quelques opérations menées dans des zones hostiles. Mais son visage s'éclairait lorsqu'il évoquait ses camarades, leur entraide, mais aussi leurs épreuves, leurs souffrances, leurs peurs leur tristesse lorsque l'un disparaissait, mort au combat qui serait déclaré plus tard «Mort pour la France». Ce visage qui s'assombrissait à l'évocation de son retour.
Bien sûr, l'accueil affectueux des parents, de la famille, de la fiancée, aidait à reprendre pied. Mais l'indifférence générale, le contrôle rigoureux de la Gendarmerie, le manque de reconnaissance de la Nation face à ses fils survivants, retardaient l'espoir de se construire une vie d'homme.
Comme tous, cet ami est rentré sans être autre chose qu'un pion, pourrait-on dire «sans identité». Il n'avait rien à raconter, il était difficile de trouver quelqu'un à qui se confier au bout de ces longs mois d'insécurité, d'accrochages, de ces nuits où il devait dormir sur un lit de camp, son arme enchaînée au poignet, abrité sous la protection illusoire d'une guitoune. Rentré comme les survivants des deux millions d'anciens d'Algérie, chacun avec son expérience singulière, son soulagement, et sa soif de retrouver son identité. Il était du «contingent». Il était parti adolescent à 20 ans, il n'a pas failli à son devoir, il revenait lourd d'une expérience qu'il n'avait pas souhaitée. Il est revenu un ancien combattant, au même titre que ses chefs, officiers et sous-officiers engagés à ses côtés dans le même combat. Au même titre que ses pères et grands-pères. «ancien combattant» terme qui conforte le respect et ouvre l'accès à quelques maigres droits.
Ami, s'il manque quelques repères dans ton passé de soldat du contingent, sois sans crainte, la mémoire te reviendra. Mais qui pensera à toi dans quelques années, qui pensera à ces années de guerre, qui pensera à tes 30 000 compagnons qui ne sont pas revenus ?. Et pourtant, tu fais partie de ces appelés, rapellés du «contingent», mobilisés pour un incertain «maintien de l'ordre» reconnu bien tardivement comme «guerre d'Algérie». Pour toi, pour tous, c'est un véritable Honneur qui te donne le droit de porter ce titre d'ancien combattant.
Témoigne, œuvre auprès des jeunes générations pour que ne tombe pas dans l'oubli, pour que ne soit pas effacée de l'Histoire, cette guerre d'Algérie menée par le contingent.
«CONTINGENT» par Claude Vagnier